Peak Oil: L'annonce de l'AIE décortiquée par pays

Par Matthieu Auzanneau - Le dernier rapport annuel de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) se révèle être truffé de références, discrètes mais explicites, à un déclin imminent de la production de bon nombre des principaux pays producteurs de la planète, notamment la Russie, l'Iran, le Mexique, le Nigeria ou encore la Chine.

Nous reprenons, ci-dessous, une partie de l'excellente analyse réalisée par Matthieu Ausanneau. 

Seuls l'Irak, le Canada, les Etats-Unis et le Brésil offrent une pleine garantie de développement des extractions au cours de la prochaine décennie, estime l'AIE. Voici l'analyse pays par pays:

La production de la "plupart" des principaux pays producteurs hors-Opep devrait décliner, estime l'AIE, "notamment la Chine, la Grande-Bretagne, la Norvège ainsi que la Russie", ou encore le Mexique. Un déclin que ne compensera plus, au-delà de 2025, la forte augmentation anticipée de l'offshore ultra-profond brésilien, des sables bitumineux canadiens et des réservoirs compacts des Etats-Unis.

La Russie

incarne l'une des plus grosses mauvaises 'surprises'. Actuel deuxième producteur mondial, elle Russie est promise, selon l'AIE, à un ralentissement lent mais continu de ses extractions, de 10,6 Mb/j aujourd'hui à 9,2 Mb/j en 2035.
Les ressources supposées de l'océan Arctique seront incapables de compenser un tel déclin : l'AIE "n'envisage pas" que le pétrole offshore du pôle Nord "apporte une contribution importante" à la production mondiale d'ici à 2035.

La Russie fait partie, avec les Etats-Unis, l'Azerbaïdjan et l'Iran, des pays pétroliers les plus anciens. Sa production fait depuis 2007 jeu égal avec celle de l'Arabie Saoudite. Toutefois ses réserves prouvées sont trois fois moins importantes que celles du royaume arabe, premier producteur mondial brut.

Le Kazakhstan

constitue l'un des seuls points positifs dans le jeu à somme négative de l'évolution de la production hors-Opep annoncée par l'AIE. Cette dictature d'Asie centrale alliée de la France (et en particulier du groupe Total)  devrait voir passer sa production de 1,6 à 3,7 Mb/j.
Mais les "incertitudes significatives" concernant le démarrage de la production du champ offshore géant de Kachagan pourraient réserver de mauvaises surprises, prévient l'agence. 

Le Mexique

figure également parmi les grands pays producteurs anciens dont l'AIE reconnaît le déclin régulier. Amorcé en 2007, ce déclin est entraîné par la chute des extractions du champ super-géant de Cantarell et "d'autres champs matures", note succinctement l'AIE.  La production mexicaine totale devrait reculer inexorablement de 2,9 Mb/j en 2011 à 2,6 Mb/j dès 2020. 

La Chine

devrait voir ses extractions demeurer "plus ou moins stables aux alentours de 4 Mb/d jusqu'en 2025, avant d'entamer un déclin régulier causé par les limites de ses ressources en pétrole conventionnel, en dépit d'un accroissement de la production offshore, de la liquéfaction du charbon et de la production [future] des réservoirs compacts".

La Chine produit beaucoup de brut, mais en consomme bien plus encore (9,8 Mb/j en 2011, selon BP). Pour alimenter sa croissance rapide, il lui faudra donc nécessairement poursuivre son offensive tous azimuts sur les fronts de l'or noir, de l'Irak au Canada en passant l'Afghanistan ou le Soudan : forte de ses immenses réserves de devises, la Chine risque de limiter de plus en plus l'accès des autres pays importateurs à l'offre de brut.

Grande-Bretagne - Norvège

La production pétrolière de la mer du Nord va poursuivre, selon l'AIE, l'inéluctable dégringolade amorcée au début des années 2000, sapant de plus en plus la situation économique et géostratégique du vieux continent.


L'Irak

confirme sa position d'unique membre de l'Opep capable d'accroître ses extractions de manière importante. L'AIE ne fait cependant pas mystère des vastes difficultés politiques, techniques et financières qui pèsent sur les compagnies pétrolières engagées dans ce pays-clé.

L'Arabie Saoudite

L'AIE table sur un recul, modéré mais durable, des exportations de la 'banque centrale du pétrole' : de 11,1 Mb/j en 2011 à 10,8 Mb/j en 2025, en passant par un étiage à 10,6 Mb/j en 2020. L'Agence internationale de l'énergie justifie ce pronostic, inattendu de sa part, en faisant état de "considérations" des chefs de la maison des Saoud ayant trait "à long terme, à la déplétion des ressources [en brut] et, à court terme, à la gestion du marché".

L'Iran

constitue avec la Russie l'autre mauvaise 'surprise' majeure. Les auteurs du World Energy Outlook 2012 pronostiquent un déclin important et prolongé des extractions du quatrième producteur mondial : de 4,2 Mb/j en 2011 à seulement 3,2 Mb/j en 2015, puis 3,3 Mb/j en 2020.
L'Iran serait incapable de revenir à son niveau de production de 2011 avant... 2035.

L'Agence internationale de l'énergie décrit l'état de fait induit par les sanctions économiques des Etats-Unis et de l'Union européenne contre Téhéran, sanctions qui obligent depuis plusieurs mois l'industrie pétrolière iranienne à restreindre ses extractions :

"Les pertes de revenus ainsi que l'accès encore plus limité à la technologie et aux capitaux [provoqué par les sanctions] devraient rapidement transformer cette chute de production en une chute des capacités de production en elles-mêmes, [chute] dont le pays mettra des années à se remettre."

L'année 2012 sera-t-elle celle du pic pétrolier terminal de l'Iran, trente-six ans après son pic principal, intervenu à l'époque du shah, en 1976, entre les deux choc pétroliers des années soixante-dix ?

Au Koweït

les perspectives "demeurent incertaines". Les nouveaux champs susceptibles d'être développés contiennent du pétrole lourd de mauvaise qualité, car riche en soufre. L'AIE table sur une stagnation de la production jusqu'en 2030, en dépit des projections beaucoup plus optimistes mises en avant par les dirigeants du cinquième producteur du golfe Persique.

Les Emirats arabes unis devraient voir leur production stagner jusqu'en 2030 à 3,4 Mb/j, avant de connaître éventuellement un accroissement à 3,7 Mb/j en 2035.

Le Qatar

cher aux supporters du Paris Saint-Germain ainsi qu'à bien des militants islamistes radicaux, présente lui aussi une situation symptomatique de l'automne du pétrole, où les meilleurs fruits ont déjà été cueillis et dévorés tout crus, tandis que les fruits médiocres qui restent sur l'arbre ne peuvent être consommés sans au préalable être savamment nettoyés et transformés en compote :
le petit émirat du golfe Persique devrait voir sa production de pétrole conventionnel décliner, tandis que sa production de gaz naturel (NGL et gas-to-liquid) devrait encore pouvoir être accrue, d'après l'AIE.

Au Venezuela,

la production de pétrole conventionnel devrait "poursuivre son déclin jusqu'en 2020, en partant 2,1 Mb/j en 2011 pour se stabiliser à 1,3 ou 1,4 Mb/j ".  Ce pic du pétrole conventionnel est inévitable "sans une évolution majeure du climat politique". L'AIE juge le régime d'Hugo Chavez hostile aux compagnies pétrolières étrangères.

Toutefois le déclin du pétrole conventionnel pourra être plus que compensé, estime l'AIE, par un prochain décollage très rapide de l'exploitation des immenses ressources du Venezuela en pétroles extra-lourds.

La production des pétroles extra-lourds de la ceinture du fleuve Orénoque, dans laquelle  le groupe français Total investit depuis longtemps, reste pour l'heure limitée à 0,6 Mb/j. Un développement rapide de ces produits pétroliers non-conventionnels nécessite encore la construction de gigantesques installations de raffinage adéquates.

Le Nigeria,

premier producteur d'Afrique, se dirige, lui aussi, vers un déclin de la production, de 2,6 Mb/j en 2011 à 2,4 en 2020.

La production pourrait ensuite connaître un modeste accroissement, "à condition que les investissements nécessaires puissent être accomplis" malgré de nombreuses difficultés politiques et des contraintes techniques rappelées par l'AIE.

L'Angola

devrait voir sa production stagner jusqu'en 2035, "à condition que les nouvelles découvertes en offshore profond soient suffisantes pour compenser le déclin des champs existants"...

En Libye

"tandis que les champs existants entrent dans leur phase de déclin, l'accroissement de la production dépendra de nouveaux champs et du succès des efforts d'exploration, qui avaient été accru entre 2007 et 2011, mais qui ont donné jusqu'ici des résultats décevants".

L'Algérie

"fait face à des problèmes similaires [à ceux rencontrés par la Libye], problèmes accompagnés d'une chute des découvertes, qui ont entraîné un lent déclin de la production depuis 2007".

L'AIE envisage une stagnation de la production de la Libye et de l'Algérie au moins jusqu'en 2020. Et au mieux.

L'Equateur

le plus humble des membres de l'Opep, s'ajoute à la longue liste des pays engagés, d'après l'AIE, sur le chemin d'un déclin de la production... à moins que le gouvernement de ce Etat d'Amérique du Sud renonce à interdire l'exploitation des pétroles lourds de son parc naturel de Yasuni.

Le président équatorien Rafael Correa propose depuis 2007 aux pays importateurs d'aider financièrement Quito afin de permettre à la petite nation andine de continuer à fermer l'accès du parc de Yasuni aux compagnies pétrolières, au nom de la préservation du climat et de la forêt amazonienne. Plusieurs collectivités locales françaises de gauche, notamment les conseils régionaux de Rhône-Alpes et d'Ile-de-France soutiennent cette initiative, baptisée Yasuni ITT.

Source: Matthieu Auzanneau, Blog Le Monde

Pour retrouver l'entier de l'article de Matthieu Auzanneau (cliquez ici). Retrouvez Matthieu sur twitter: @OIL_MEN

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